Ouistreham, la discrète : entre héritage maritime et quête de nouveau souffle

C’est une porte d’entrée, un sas entre la terre et la mer. Ouistreham, avec son terminal transmanche, est souvent perçue comme un lieu de passage, une ville que l’on traverse. Pourtant, derrière cette identité de cité-port, bat le cœur d’une commune en pleine mutation, tiraillée entre la préservation de son âme maritime et la nécessité de se réinventer.

Le portrait d’une ville à la croisée des chemins

Au premier abord, Ouistreham dévoile ses multiples visages. D’un côté, le port de plaisance et son phare, emblèmes d’une vocation balnéaire et touristique. De l’autre, le terminal ferry, poumon économique et lien vital avec l’Angleterre. Et puis il y a les habitants, comme Marc Lefort, 52 ans, restaurateur installé depuis plus de vingt ans près du bassin. Il observe, au fil des saisons, les flux et reflux qui définissent sa ville. « Ici, on vit au rythme des marées et des départs des ferries. C’est une cadence particulière. On a une clientèle de fidèles, des gens du coin, mais aussi beaucoup de touristes qui ne font que passer. Le défi, c’est de leur donner une raison de rester. »

La voix des premiers concernés

Cette tension entre transit et ancrage est vécue au quotidien par ceux qui font vivre la commune. « On est une ville étape, c’est un fait, mais on ne veut pas être une ville escale, oubliée une fois le bateau parti », confie Marc. Il pointe du doigt les vastes parkings vides en dehors des pics de départ, des « dents creuses » en plein centre-ville qui pourraient, selon lui, être mieux valorisées. « Il y a une énergie dormante à Ouistreham. On a des atouts fous : la mer, les plages du Débarquement à deux pas, un patrimoine naturel exceptionnel. Mais parfois, j’ai l’impression qu’on hésite à faire le grand plongeon pour se montrer sous notre vrai jour. »

Un dialogue parfois tendu entre développement et préservation

Cette quête d’un nouveau souffle ne fait pas l’unanimité. D’un côté, une partie des commerçants et des élus pousse pour un développement touristique plus affirmé, avec la création de nouvelles attractions et la rénovation du front de mer. De l’autre, des associations de riverains et des habitants de longue date s’inquiètent de voir la ville perdre son caractère. « À force de vouloir attirer les visiteurs, on risque de standardiser Ouistreham, de gommer ce qui fait son charme unique », estime Élise Taviani, 68 ans, retraitée et membre d’une association patrimoniale. Pour elle, l’enjeu n’est pas de construire plus, mais de mettre en valeur ce qui existe déjà. « Le port, l’histoire, la réserve naturelle de l’estuaire de l’Orne… C’est notre véritable richesse. Il faut la protéger. »

Les enjeux d’une transformation réussie

Derrière ce débat apparemment local se cachent des questions fondamentales pour l’avenir des villes côtières de taille moyenne. Comment générer une activité économique pérenne sans sacrifier son identité ? Comment créer du lien entre le port, lieu de transit, et le centre-ville, lieu de vie ? Les conséquences sont multiples : attractivité pour les jeunes actifs, vitalité commerciale hors saison, et même cohésion sociale. Une ville qui ne vit qu’au rythme des ferry est une ville qui s’endort une partie de l’année.

L’éclairage d’un regard expert

Selon Pierre-Alain Mons, géographe spécialiste des territoires littoraux, la situation de Ouistreham est emblématique. « Les villes-portes, comme Ouistreham, souffrent souvent d’un déficit d’image. Elles sont perçues comme des interfaces, non comme des destinations. Pourtant, elles possèdent un potentiel formidable. Les études le montrent : les visiteurs sont en demande d’authenticité et de récits. La clé, pour Ouistreham, serait peut-être de mieux raconter son histoire, de créer un parcours, une expérience qui irait du port jusqu’au cœur de ville, en s’appuyant sur son double patrimoine, historique et naturel. »

Un autre son de cloche, du côté de la mer

Sur le port de plaisance, Thomas, 41 ans, capitaine de bateau-promenade, partage son expérience. « Les gens qui débarquent du ferry ou qui viennent pour la journée ont souvent soif de découvrir autre chose. Quand je leur parle de la baie de l’Orne, des phoques qu’on peut parfois apercevoir, ils sont émerveillés. Ils ne s’attendaient pas à ça. Il y a un vrai fossé entre l’image de la ville et sa réalité. Notre rôle, à nous qui travaillons sur l’eau, est de faire ce pont, de leur montrer la beauté cachée de l’endroit. »

Des pistes pour imaginer l’avenir

Alors, quelles solutions pour Ouistreham ? Plusieurs scénarios sont envisageables. Le premier serait de miser sur la valorisation éco-touristique, en créant, par exemple, un écomusée dédié à l’estuaire et à son écosystème. Le second viserait à densifier l’animation culturelle en organisant des événements liés à la mer tout au long de l’année, et non plus seulement l’été. Enfin, une réflexion urbanistique sur la requalification des zones de parking en espaces mixtes (commerces, logements, espaces verts) pourrait permettre de « recoudre » la ville à son port. Une simulation chiffrée menée par une agence d’urbanisme locale estime qu’un tel projet pourrait augmenter la fréquentation de centre-ville de 15 à 20% hors saison estivale.

Vers une identité réinventée

Le cas de Ouistreham interroge finalement la manière dont une communauté se projette dans l’avenir. La ville peut-elle transcender son statut de passage pour devenir une destination à part entière, sans renier ce qui a fait son histoire ? La réponse se construira sans doute dans la capacité de ses habitants, de ses commerçants et de ses élus à trouver un récit commun, une vision qui saura allier modernité et respect de l’âme des lieux. Le débat, profondément humain, est ouvert.